Triangle Dramatique *

Vous êtes en vacances, en famille ou avec votre groupe d’amis. Dans la torpeur de l’été le temps s’écoule lentement et les conversations se poursuivent sur un ton léger autour de l’apéritif au retour de la plage. Arrive ce moment bien particulier où la météo relationnelle change imperceptiblement, le ciel se couvre et vous le remarquez à peine, un peu moins de légèreté, un peu moins d’aménité peut-être … Un peu d’agressivité ? Vous n’y prêtez pas vraiment d’attention. Soudain, de manière complètement imprévisible, et à la fois tellement familière, l’orage éclate. Le ton est monté, les reproches ont fusé et manifestement les émotions désagréables ont pris le dessus pas seulement pour vous, mais visiblement pour chacun des protagonistes, chacun étant à la fois pris de cours et se disant pour lui-même ou à haute voix « c’est toujours pareil de toute façon … », la suite de la phrase appartenant au registre personnel de chaque acteur de ce petit scénario.

Cette scène vous rappelle quelque chose ? Non, vous n’êtes pas rentrés dans la 4e dimension, vous venez de jouer un jeu psychologique, autrement dit vous êtes entrés dans le Triangle Dramatique de KARPMAN.

Le jeu psychologique est un concept d’Analyse Transactionnelle décrit à l’origine par Eric BERNE.

Il s’agit d’une séquence relationnelle que les protagonistes jouent de manière à la fois répétitive et inconsciente, qui a pour conséquence d’amener tous les acteurs du jeu à ressentir à la fin de la scène des affects négatifs et à se renforcer dans des croyances limitantes.

Steve KARPMAN a mené plus loin cette réflexion. Il décrit trois rôles types que les acteurs du jeu endossent successivement : le Persécuteur, le Sauveur et la Victime.

Regardons une scène de jeu d’un peu plus près.

Un groupe d’amis est au bord de la piscine quand l’un d’eux, Valentin, dit « je crois bien que je commence à avoir une petite faim, pas vous ? ». C’est alors que Solange, une des protagonistes bien reconnue de tout le groupe pour ses talents culinaires, entreprend de se lever pour préparer un bon repas alors que les autres, et en particulier Valentin, continuent à se prélasser mollement au bord de la piscine. Dans la cuisine Solange s’active. Pour tout dire, elle s’agite et grommelle : « Comment il marche ton four, Valentin, je ne sais pas le faire marcher …On n’a pas de thym de la sauge, du laurier ? Vous n’avez pas pensé à prendre de l’ail au marché ? Il faut couper les aubergines, là ! » Le ton est monté en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Valentin qui aurait bien voulu prolonger sa séance de bronzage tout en grignotant simplement des chips au bord de la piscine finit par se lever au bout d’un temps qui semble infini à Solange, maintenant très agitée. Valentin entre dans la cuisine et s’entend alors dire « C’est toujours pareil hein, il n’y a jamais personne pour m’aider, vous êtes vraiment des feignasses, si je ne me bouge pas il n’y a rien qui se passe ! » Et la réponse cinglante fuse : « Tu es hyper agressive Solange, personne ne t’a rien demandé et on s’en sort très bien sans toi, merci ». Chacun ressort blessé, surpris que la journée qui avait pourtant bien commencé ait pu prendre une si mauvaise tournure, et pour autant cette amertume a un petit goût bien familier et dans son dialogue interne chacun peut se dire « c’est toujours pareil ».

Regardons de plus près ce qui s’est passé pour Solange. Elle entre dans le jeu en posture de Sauveur, qui va nourrir sa couvée de poussins incapables de préparer un repas gouteux et équilibré. Une fois dans la cuisine, sa température émotionnelle commence à monter, elle se sent seule et démunie (Victime), et commence à se dire que les autres sont vraiment des incapables. Son ton devient tranchant et elle voudrait mettre tout le monde en ordre de marche pour organiser ce repas selon son rythme et ses critères. Sans se voir faire, elle a basculé en Persécuteur. Lorsque Valentin arrive et la rabroue, elle se sent critiquée injustement et se dit « après tout ce que j’ai fait pour vous ! ». Elle finit le jeu en position de Victime.

Nous pourrions regarder de la même manière la partition de Valentin, car s’il faut être deux pour danser le tango, il faut être au moins deux pour entrer dans le Triangle de KARPMAN et on ne joue jamais tout seul.

Ces jeux se jouent dans tous les groupes, dans toutes les familles, dans toutes les entreprises. Chacun d’entre nous a son petit répertoire favori et nous excellons à trouver dans notre entourage les personnes qui sauront le mieux nous donner la réplique.

Il est bon d’identifier dans quel rôle nous entrons dans le jeu de manière privilégiée afin de nous voir faire et d’en sortir sans prendre de coups.

Que ce soit au bureau ou en vacances, les jeux sont malheureusement inévitables et le mieux que nous puissions faire est d’en prendre conscience pour en sortir sans drame ni larmes. Si vous vous prenez la main dans le sac, soyez indulgent vis-à-vis de vous-même et de l’autre, le jeu est humain. Et reprenez donc un verre de rosé avec une poignée de chips !

* D’après Valérie AUSSEIL

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